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mardi 25 avril 2017

France Télévisions - La lettre de Pascal Josèphe au président du CSA


La lettre de Pascal Josèphe au président du CSA en forme de cri d'alerte.


Pascal Josèphe s'était "abstenu de tout commentaire" après le parachutage à l'été 2015 mais là, la coupe est pleine... et il constate où est tombé cette télé publique qui, depuis 18 mois, "ne parvient plus à faire la preuve ni de son exemplarité éditoriale et sociétale, ni de la pleine légitimité de la redevance"


"Monsieur le Président,

Je me suis abstenu de tout commentaire après le choix qui fut le vôtre le 23 avril 2015, il y a deux ans, pour la présidence de France Télévisions. Je m’adresse à vous aujourd’hui, en tant que professionnel et en tant que citoyen très inquiet de la situation de la télévision publique. Si des candidats à l’élection présidentielle envisagent de réduire son périmètre et son financement, c’est qu’elle prête le flanc, ne parvenant à faire la preuve ni de son exemplarité éditoriale et sociétale, ni de la pleine légitimité de la redevance. Dans les mois qui viennent, l’avenir de France Télévisions sera très probablement en débat. J’y participerai et je suis déterminé à promouvoir le projet que j’avais soumis au CSA.

Je prends acte de l’annonce récente d’un résultat d’exploitation à l’équilibre, qui s’explique par des efforts de l’entreprise et par une augmentation sensible de la ressource publique. Il est sain et normal que l’entreprise s’inscrive à nouveau dans une trajectoire financière vertueuse, dès lors que l’offre de programmes serait bien considérée comme la toute première priorité et non comme une variable d’ajustement, ce qui est le cas depuis de nombreuses années et explique en grande partie les difficultés chroniques et structurelles de l’entreprise.

Le public se détourne massivement de l’offre de France Télévisions, ses audiences n’ont jamais été aussi basses. Aucun fanion nouveau n’a été hissé au sommet de l’offre éditoriale. Culture, histoire, géopolitique, divertissements de qualité, fictions audacieuses, prestigieuses, disruptives, émissions et offre numérique conçues pour reconquérir les jeunes et leur proposer des repères, programmes-évènements autour des grands sujets qui secouent la planète : rien dont on se souviendra… Ce n’est pas la nouvelle chaîne linéaire d’information en continu -conçue dans une précipitation pré-électorale pour tenter, en vain, de rivaliser avec ses consœurs privées -, ni la promesse d’une nouvelle plateforme numérique -dont on peut aujourd’hui douter qu’elle verra le jour-, ni un nouveau et coûteux feuilleton quotidien pour fin d’après-midi, qui peuvent tenir lieu de projet, même modeste. L’offre régionale et ultramarine reste traitée comme un pensum, alors qu’elle devrait être le fer de lance d’une relation intime avec le public, reposant sur davantage d’information, de découverte de notre patrimoine et de la performance de nos territoires, et sur des services numériques adaptés aux nouveaux usages. En matière de diversité et de reflet sur les antennes de notre société telle qu’elle est, le décalage reste considérable et compromet l’une des missions essentielles de la télévision publique.

Pour tous ces manquements, la redevance perd de sa légitimité, le périmètre et les effectifs de l’audiovisuel public sont désormais en question. Il n’y a pourtant aucune fatalité. Il suffit pour s’en convaincre d’observer comment chez nos proches voisins européens la télévision publique a su se renouveler, s’adapter, et rivaliser tant avec la concurrence télévisuelle privée qu’avec l’offre pléthorique du web. Un seul mot d’ordre par exemple pour la BBC : que chaque téléspectateur, quels que soient son âge et sa condition sociale, ait une bonne raison, chaque jour, de venir consulter son offre linéaire ou délinéarisée, et cela dans le cadre d’une politique éditoriale sans complaisance.

Les créateurs sont pour la plupart déboussolés par l’absence d’une stratégie éditoriale claire et d’un cap propre à chaque antenne. Ils sont nombreux à serrer les dents, par crainte d’être écartés. Alors, quand ils le peuvent, ils répondent à la demande, participent à des consultations, mais surtout ils comptent sur leurs réseaux pour pouvoir travailler. Je les comprends, mais je leur souhaiterais meilleure considération, meilleure qualité d’écoute, transparence dans les procédures d’instruction et de sélection des projets, et plus grande complicité dans l’accomplissement  d’une belle ambition partagée. Ils savent tout faire, dans tous les genres de programmes, répondre aux sollicitations les plus exigeantes, faire preuve de toutes les audaces, offrir au public de quoi le faire vibrer, s’émouvoir, apprendre, découvrir, mieux comprendre notre temps, et aussi de quoi se divertir et se détendre sans s’abêtir, pour échapper à un quotidien parfois pesant. En concevant mon projet pour France Télévisions, je savais que la réussite reposerait largement sur eux, créateurs, auteurs, producteurs, et sur tous ces métiers souvent dans l’ombre des tournages. Je comptais sur ces précieux talents pour renouveler l’offre en profondeur, dans une relation de travail intense, loyale et confiante. Quand on sait qu’au mieux une innovation sur deux rencontre son public, et compte tenu du besoin de renouvellement radical de l’offre, ce sont cent à cent cinquante nouveaux programmes qu’il aurait fallu lancer depuis 2015, à des coûts maîtrisés et justifiés au regard de leur audience ou de leur mission de service public.

A propos des personnels de France Télévisions, nombreux sont ceux qui regrettent de ne pas se sentir engagés dans une dynamique collective et constructive, exprimant un mal-être, des risques psychosociaux et un manque sévère de reconnaissance. Ils sont conscients de leur chance d’appartenir à un groupe au passé prestigieux, de bénéficier d’un statut social meilleur que la moyenne. Malgré les impératifs de bonne gestion qui doivent conduire à la maîtrise et la baisse de la masse salariale, je suis convaincu qu’ils étaient prêts, et le sont toujours, à donner le meilleur d’eux-mêmes, conscients de leurs responsabilités vis-à-vis du public, de leurs propres familles, de leurs amis, tous contributeurs de l’audiovisuel public.

J’ai une pensée particulière pour les 2500 journalistes du groupe qui portent cette mission fondamentale d’informer, d’alerter, d’expliquer. Réformes organisationnelles inabouties et ligne éditoriale indécise semblent les laisser dans l’expectative et le doute, voire dans la défiance, alors qu’ils forment la plus puissante équipe journalistique de France. La période pré-électorale et électorale ne leur aura pas permis de faire valoir pleinement leurs compétences et leur amour du métier, comme ils l’avaient si bien fait lors des élections de 2012.

L’organisation de l’entreprise mise en œuvre depuis deux ans pose problème : sur le papier déjà, au stade du projet, elle portait en elle des germes de dysfonctionnement et notamment de déresponsabilisation des cadres dirigeants et intermédiaires, tant le sommet de la pyramide concentre les décisions. Ceci explique que bon nombre de professionnels de haut niveau aient refusé les uns après les autres de rejoindre le groupe. Car France Télévisions, comme les médias en général, n’est pas un corps social comme les autres. Pourquoi celles et ceux qui y travaillent ont-ils choisi ou ont-ils été conduits à exercer ces métiers, qu’ils soient journalistes, responsables de programmes, techniciens, managers, personnels administratifs ? Au plus profond d’eux-mêmes, ils ont en commun avec les créateurs d’être un peu rebelles, de ne pas se contenter du monde tel qu’il est, de vouloir le faire avancer, de témoigner, créer, partager, et contribuer à leur manière à ce qui fait société : mieux vivre ensemble, protéger la démocratie, donner à voir ce qui nourrit l’esprit critique et l’imaginaire, aider chacun à se situer dans  le temps et dans l’espace. Oui, ils sont ainsi, et aucun carcan ne peut les contraindre, sauf à éteindre cette petite flamme qui est en chacun d’eux. 9.000 collaborateurs de France Télévisions ne peuvent être dirigés comme 9.000 autres. Seul un projet éditorial ambitieux, responsable et partagé peut les mobiliser, les conduire sur les chemins de l’excellence. Et pour cela, la confiance doit être la règle, l’autorité s’exerçant non par la contrainte mais par la légitimité, par l’exemple, et par la reconnaissance professionnelle mutuelle.

Les pouvoirs publics et la représentation nationale ont en apparence une faible influence sur la marche de la télévision publique. Ils s’abstiennent en général de toute intervention qui pourrait être interprétée comme de l’ingérence. Mais ils se manifestent quand il s’agit de négocier les contrats d’objectifs et de moyens, le montant de la redevance, et de définir la règlementation et les lois. A l’automne 2015, au Sénat, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et la commission des finances ont élaboré conjointement un véritable projet pour l’audiovisuel public, portant sur son organisation, avec un rapprochement structurel de la radio et de la télévision, sur un nouveau mode de financement qui s’inspirerait du modèle allemand, sur sa gouvernance et le mode de désignation des dirigeants. Ce projet constitue aujourd’hui le socle des projets de plusieurs candidats à l’élection présidentielle pour l’audiovisuel public. C’est donc probablement dans ce cadre que se jouera l’avenir de France Télévisions, de ses missions, de son périmètre, de son financement.

J’aurais préféré que la télévision publique brille en ce printemps de tous ses feux, qu’elle soit reconnue pour son audace créative, pour l’harmonie, la richesse et la complémentarité éditoriales de ses antennes, pour sa contribution active au débat public, avec de bien meilleures audiences, notamment chez les jeunes et les actifs. 

C’eût été le meilleur moyen de justifier pleinement sa raison d’être."

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